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Une vision libérale du bénévolat portée par France Inter !


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Autant évacué la remarque tout de suite, oui, je suis un auditeur de France Inter. J’aime sa diversité de programmes et elle reste accessible à mon cerveau de bas niveau. Ceci étant, je ne peux qu’assister impuissant à sa droitisation depuis quelques années [1] et son uniformisation philosophique. Pour moi, il y a encore quelques années, elle représentait pleinement la vision d’une radio de service public sur laquelle on allait trouver tous les points de vue à exprimer sur un sujet. On regrettera la diminution de cette volonté. Bref.

Dans la semaine du 10 au 14 août, le "zoom de la rédaction" a fait 5 reportages autour du bénévolat. Super ! Belle initiative que voilà... D’autant qu’en général, ces mini reportages sont intéressants et bien faits.
J’ai été rapidement refroidi par le choix des thèmes et la vision libérale adoptée par la rédaction. Voici les sujets traités :
- 10/08 : Aider les personnes âgées et isolées
- 11/08 : La Croix-Rouge à cheval
- 12/08 : Aider les enfants chiffonniers du Cambodge
- 13/08 : Accueillir des enfants l’été et en être aussi heureux qu’eux
- 14/08 : Sauver les oiseaux dans le massif du Luberon

Pourquoi ? Reprenons un peu la structure du bénévolat en France...

Tout d’abord, voyons comment les gens s’engagent... Dans le tableau ci dessous, issu des études de Recherche & Solidarité, on voit que les engagements bénévoles des Français sont multiples et diversifiés.

R&S fait une distinction entre 4 catégories "d’engagés", quatre profils de celles et ceux qui font vivre les associations :
- Ils aident financièrement les associations, mais ne sont pas adhérents pour autant,
- Ils adhèrent à une association, mais ne lui donnent pas de temps gratuitement,
- Ils donnent du temps gratuitement à une association, mais ne sont pas dirigeants,
- Ils sont dirigeants d’une association (membre d’un comité directeur ou d’un conseil d’administration).
Ces personnes ont en commun un lien avec le secteur associatif, soit pour le soutenir, sans y adhérer, soit en participant à ses activités, comme adhérent, comme bénévole ou comme dirigeant.

Ce seul tableau permet d’expliquer le principal reproche aux différents "zooms" de France Inter : leur vision de personnes engagées, mais pas dirigeantes. Or, c’est bien connu, on a trop de dirigeants dans le milieu associatif ! C’est la principale difficulté à l’heure actuelle : le renouvellement des équipes dirigeantes. Principalement due à la complexification des responsabilités et des tâches, couplée à la génération Y qui a modifié profondément sa vision de l’engagement [2], les instances dirigeantes sont au mieux en effectifs restreints, au pire en équipes sclérosées par une génération refusant obstinément de rendre le pouvoir et accepter la démocratie. Entre les deux, des associations qui tentent d’avoir des gouvernances compétentes, mais qui en général, se retrouvent souvent démunies car les compétences d’un administrateur coûtent chères à faire monter ou ne se retrouvent pas totalement dans la vision "purement bénévole" des engagés.
On remarquera également le poids important de l’investissement par l’internet. N’en déplaise à certains ronchons, le cyber-engagement est un vrai engagement, si tant est qu’il soit utile, intelligent et coordonné.

Les donateurs non adhérents donnent de l’argent, au moins une fois par an, à des associations. Ils ne sont pas adhérents pour autant.
Ils représentent environ 22% des Français, moins de 20% des hommes et 25% des femmes, selon une proportion qui évolue en corrélation avec l’âge, de 19% chez les moins de 25 ans, jusqu’à 30% parmi les plus de 70 ans. Sans jugement de valeur, il est évident que les membres de ce groupe n’ont pas systématiquement vocation à adhérer un jour à des associations, mais leur intérêt pour elles, au travers de leurs dons d’argent, est un indice utile à prendre en compte.

Les adhérents non bénévoles adhèrent à une association et parfois à plusieurs, quelles qu’elles soient, et ils n’ont pas d’engagement bénévole dans le cadre associatif. Ils représentent environ 23% des Français, d’une manière équilibrée entre
hommes et femmes, avec une proportion un peu plus faible parmi les moins de 25 ans, qui bondit entre 25 et 39 ans, se rétracte entre 40 et 59 ans, pour se situer au plus haut, à partir de 60 ans.
Les bénévoles non dirigeants ont un engagement bénévole dans une association, dans des fonctions d’accueil, d’administration, d’accompagnement ou d’animation. Ils ne sont pas dirigeants élus au sein d’un bureau ou d’un conseil d’administration d’une association. Ils représentent environ 15% des Français, avec une bien plus forte
représentation parmi les hommes (18% contre 13%), et une proportion qui va crescendo, depuis 9% chez les moins de 25 ans, jusqu’à 19% chez les sexagénaires, avec un léger retrait au-delà de 70 ans.
Les dirigeants associatifs sont dirigeants d’une association, au sein d’un bureau ou d’un conseil d’administration. L’enquête BVA nous indique qu’ils représentent environ 7% des Français, avec de très grands écarts bien connus, mais très précisément mesurés ici : cette proportion moyenne est exactement doublée chez les hommes (10%), par rapport à ce qu’elle est chez les femmes (5%). Ce groupe est très peu représenté chez les moins de 25 ans (1%), la proportion est maximale entre 40 et 70 ans (9%), et faiblit au-delà. "La France bénévole, les mille et une façon d’agir", 12ème édition - Juin 2015

Les différences sont, sans surprise, les plus fortes sur les relations et les actions : dans le plus grand nombre de cas, elles sont d’autant plus fréquentes que l’on avance en âge. Donc, plus on vieillit, plus on s’investit. Logique ? Surtout, cela vient calmer les ardeurs de nos "jeunistes" qui veulent absolument voir des jeunes [3] prendre des responsabilités. Chercher à le faire, ouvrir la porte, mettre en place des actions pour les investir, oui, bien entendu, mais se focaliser là dessus [4], non. La tranche d’âge à privilégier pour les responsabilités, c’est plutôt 40 jusqu’à ... ans...
D’autant qu’il existe une sorte de cercle vertueux (pour les associations) / vicieux (pour les individus) : Les personnes les plus actives, celles qui s’investissent sous des formes les plus nombreuses, sont par ordre décroissant celles qui participent à un collectif d’habitants, les personnes qui appartiennent ou donnent du temps à un groupe en lien avec une mairie, une école, un syndicat ou un parti politique. Viennent ensuite les dirigeants associatifs, suivis par les personnes qui pratiquent des modes d’actions qui « engagent moins » : des activités entre amis ou voisins, l’adhésion à une association, ou encore l’usage d’Internet.
Les donateurs en argent ou en nature sont ceux qui pratiquent le moins de cumul d’actions engageantes (le don + une action quelconque prenant du temps). Le don serait il un moyen d’exonération du temps à passer ? J’en suis pour ma part assez convaincu, c’est un de mes arguments contre le crowdfunding.

N’oublions cependant pas que pour que la volonté d’agir rejoignent l’acte d’agir, il faut plusieurs choses (réparties selon le sexe) :
La condition première pour vouloir tenter de changer les choses est d’abord de penser que l’action sera utile : 40% environ, ont tenté d’agir et ont été déçus, ou encore se disent d’avance que cela ne servira à rien.
A contrario, une majorité de personnes (60%) ont le sentiment qu’elles pourraient tenter de faire évoluer les choses. Encore faut-il, et elles l’expriment, que certaines conditions soient réunies : croiser une occasion particulière, être dans une situation personnelle favorable ou encore être encouragé par un ami.

De plus, on n’attirera pas les mouches avec du vinaigre ! Il existe des mots clés pour parler aux futurs engagés. Et d’autres en perte de vitesse... SI on parle "citoyen", "engagement", "bénévolat", la représentation ressentie sera positive. Philanthropie, on peut abandonner par contre !

L’âge joue, bien entendu, mais pas que...
On remarquera que les arguments principaux pour s’engager sont la "volonté d’une ouverture sur les autres, des rencontres", de prendre du plaisir, le "sentiment d’accomplir un devoir, d’agir dans l’intérêt général", celui "d’être reconnu comme « capable »" [5] et des compétences utiles pour mes études ou ma vie professionnelle [6].
A l’inverse, principalement, ce qui éloignera l’envie de s’engager, c’est des "obligations un peu contraignantes (On abandonne la réunionite, les permanences du samedi,...) et les disputes internes.

Mais ce que je reproche aussi aux émissions de France Inter sur le sujet, c’est d’avoir présenté une vision étroite de la capacité de s’investir bénévolement. Au delà de la responsabilité à prendre (Dirigeants associatifs), la vision présentée est celle de la réparation. L’engagement bénévole ne serait que pour "réparer les dégâts de la société". Vision partisane d’un milieu associatif, exclusivement proche de l’insertion et du social, alors que les secteurs d’activité de l’engagement (même "que" associatif) est plus large : Sport, loisirs, éducation populaire, santé, environnement, arts et Culture, solidarité internationale ou encore défense des droits.
Là, on présente des engagements bénévoles dans le social (principalement) avec les petits frères des pauvres, la croix rouge, le secours populaire ou encore une ONG. Les activités de chacune sont essentielles, passionnantes, vitales et ne souffrent d’aucun jugement de ma part. Mais bien souvent, quand on parle de social ou de sanitaire, on touche du doigt la réparation des dégâts du capitalisme. Aurions nous besoin des "restos du coeur" si la répartition des richesses se faisait mieux ? Aurions nous besoin d’ONG pour les enfants si on exploitait pas leur pays ? Aurions nous besoin d’associations d’aide aux chômeurs si le travail était mieux réparti ?

La vision du bénévole au service de la cohésion sociale est trop souvent vue au travers de celles et ceux qui s’engagent pour aider et accompagner les plus vulnérables. Or, la cohésion sociale passe aussi par la citoyenneté, c’est à dire la capacité à exercer son pouvoir politique dans la société. Là encore, c’est à dire la volonté et l’action de faire appliquer, modifier, acquérir, faire acquérir de nouveaux droits pour que la société soit en phase avec les réalités.
Cantonner l’engagement bénévole à une vision misérabiliste, c’est accepter la partition de la société : les entreprises créent de la richesse (peu importe comment), l’Etat répare les dégâts en s’appuyant sur la bonne volonté des citoyens.
Voir des réussites d’entreprise gérées par des bénévoles, concevoir une autre vision de la gouvernance non pas simplement basée sur l’(a pseudo) expertise techniques, créer de la richesse sur la citoyenneté (une association est un acteur économique, le bénévolat créé de la richesse) et non pas simplement sur la destruction des richesses humaines et environnementales, c’est ce que propose aussi l’engagement bénévole, le milieu associatif et l’économie sociale en général.

Enfin, je pense !


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[1Début avec les années Val

[2Plus ponctuelle, moins "papa / grand papa"

[3D’ailleurs, qu’est ce qu’un jeune ? Dans le social, c’est 40 ans, dans l’éduc pop, c’est 20 ans !

[4Bien souvent de façon hypocrite d’ailleurs

[5On évitera les postures paternalistes genre "je vais t’expliquer comment faire !"

[6D’où l’intérêt de la formation !!


1 Message

  • belle analyse à laquelle on ne peut que souscrire. J’ajouterai que cette vision réparatrice du bénévolat fait écho à la conception anglo-saxonne de la charité, où les riches passent l’esssentiel de leur temps à faire de l’argent au détriment des plus pauvres, et contribuent à compenser et réparer leurs actions par des dons ou des participations variées. Ici, ce ne sont pas les riches qui jouent ce rôle, mais le fond de sauce est le même : le capitalisme doit être libre de faire ce qu’il veut, à charge aux individus de panser quelques plaies. L’État ? La régulation ? Quels vilains mots !!
    PS : dans l’expression "coûtent cher", cher ne s’accorde jamais, il est employé comme un adverbe, pas comme un adjectif. C’est comme si on disait "coûtent beaucoup".

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A propos de Le blog de Guillaume
Ma formation initiale est un parcours supérieur dans les sciences humaines et le travail social, car je place l’humain au centre de toutes mes réflexions et souhaits d’agir.Retour ligne automatique Intéressé par l’insertion professionnelle à l’origine, mon intérêt pour le 19ième siècle et l’émergence (...)
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