témoignage

«Le mariage pour tous, mais pas pour nous : on a déchanté»

Mariage pour tousdossier
Ils sont homos mais privés de mariage à cause d'une convention bilatérale entre la France et l'Algérie. Dix autres nationalités sont concernées.
par Marie Piquemal
publié le 26 juillet 2013 à 11h43

Le soir de l'adoption de la loi sur le mariage pour tous, ils ont fait la fête, heureux et soulagés de cette victoire pour l'égalité des droits. Elias1 et Michael, 26 et 31 ans, vivent ensemble depuis trois ans. Le premier est Algérien, l'autre Français. Tous deux sont chercheurs en informatique. Ils envisageaient de se marier avant d'apprendre que le droit le leur interdisait.

Ils ont découvert par hasard l'existence de la circulaire du 29 mai 2013, envoyée aux maires pour préciser les conditions d'application de la loi sur le mariage pour les couples du même sexe. Elle indique que pour onze nationalités, le droit du pays d'origine supplante le droit français, en vertu de conventions bilatérales. Sont concernés les ressortissants de ces onze pays : Maroc, Tunisie, Algérie, Laos, Cambodge, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Kosovo, Slovénie et Pologne.

«Nous avons demandé à rencontrer la garde des Sceaux pour supprimer la mention de ces accords dans la circulaire. Mais pour l'instant, toujours pas de réponse, indique Nicolas Gougain, le porte-parole de l'Inter-LGBT. Selon lui, cela fait belle lurette que ces conventions bilatérales ne sont plus appliquées à la lettre. Il n'y a donc pas de raison qu'elles le soient pour les couples du même sexe, estime-t-il. «Je pense que le ministère les a cités par pure forme. Sauf qu'avec une circulaire ainsi rédigée, certains maires refusent de délivrer un dossier administratif de mariage aux couples concernés, les privant de la possibilité d'un recours devant le procureur de la République. Le texte le précise mais les citoyens lambda ne le savent pas.» Comme Elias et Michael, qui témoignent.

 «La visibilité est la meilleure arme contre les discriminations»

Elias. «On a déchanté. La déception est certainement plus grande pour lui que pour moi. Ou disons plutôt que, psychologiquement, j'étais un peu plus préparé. Je suis étranger, j'ai l'habitude des blocages avec l'administration. Pour faire renouveler les titres de séjours, c'est toujours compliqué. Lui est Français depuis toujours, il s'est toujours considéré dans un état de droit, il n'arrive pas à concevoir que ce genre de discrimination puisse exister. Je m'attendais à rencontrer des problèmes, mais pas une interdiction pure et simple, comme cela. C'est dur à avaler. Surtout, je ne comprends pas pourquoi, quelle est la justification. Que notre mariage n'ait pas de valeur dans mon pays, je le conçois, mais en France..

«Après l'adoption de la loi, on parlait déjà mariage, aucune date n’était calée, mais on y pensait. Organiser une grande fête, réunir nos amis et une partie de notre famille. Célébrer publiquement notre amour, c’était surtout une manière de légitimer notre couple. Cela aurait peut-être permis aux parents de mon fiancé de nous considérer comme un couple normal. C’est important. Et puis, dans le contexte, quelques mois après l’adoption de la loi, se marier est presque un acte militant. Je suis persuadé que la visibilité est la meilleure arme contre les discriminations. Plus on verra de couples homosexuels au grand jour, plus cela deviendra banal et les discriminations diminueront. J’en suis convaincu.»

 «J’attends de voir quelle sera la réponse du ministère de la Justice»

Michael. «Au départ, je n'étais pas très mariage. Pour moi, du moins. Ce qui ne m'a pas empêché de militer activement pour que soit adoptée la loi sur le mariage pour tous, au nom de l'égalité des droits. J'ai participé à beaucoup de débats publics, c'était parfois très violent. On s'expose à des réactions très dures, que l'on reçoit en pleine figure. Tellement que quand tout cela s'achève, et qu'enfin la loi est votée, vous avez le sentiment d'une grande victoire. D'une égalité acquise pour tous, de la fin d'une discrimination.

«Peu de temps après l’adoption de la loi, Elias m’appelle, catastrophé. Il venait de lire dans la presse que le droit ne s’appliquerait pas pour nous. Nous avions décidé de nous marier. J’avais pris conscience que le mariage pouvait sécuriser notre situation. Comme Elias n’a pas la nationalité française, nous marier, c’était me donner le droit de le garder près de moi.

«Sur le moment, je l’ai rassuré, lui disant qu’il fallait creuser d’abord, vérifier les informations avant de s’inquiéter. J’ai un optimisme naturel, comme tous les militants. Mais en lisant la circulaire, en effet, il est écrit qu'en vertu des accords d'Evian, le droit algérien s'applique et que donc deux personnes du même sexe ne peuvent pas se marier. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à y croire. J’attends de voir quelle sera la réponse du ministère de la Justice. Si réponse il y a. Quand Christiane Taubira défendait son texte dans l’hémicycle, elle ne simulait pas son engagement pour l’égalité des droits. Je ne le crois pas. Je ne veux pas le croire.»

1 Le prénom a été changé

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