L’Angleterre punk de Johnny Rotten

Avec ses chansons enragées, l’ancien leader des Sex Pistols a marqué les années 70. Ennemi juré de la Couronne et de Thatcher, il criait la colère des classes laborieuses. Il est à la une de “Télérama” cette semaine.

Publié le 09 juillet 2013 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h02

Il paraît loin, le garçon malingre au teint blafard et aux dents si abîmées qu’on le surnomma Johnny Rotten (pourri, en anglais). Il fit trembler le Royaume-Uni. Chanteur des Sex Pistols, le groupe punk suprême, il était le symbole de l’implosion d’une Angleterre rongée par la crise, les grèves et le chômage. John Lydon – il reprit son vrai nom dès 1978, à la fin des Pistols – était le porte-voix de l’individualisme positif, avec son chant effrayant et ses textes impitoyables, autant de cris d’insoumission d’un laissé-pour-compte face à l’ordre étouffant — la famille royale, les conservateurs, mais aussi les travaillistes.

On le retrouve aujourd’hui, joyeux et bondissant. Il ne cherche plus à vous intimider avec ses remarques cinglantes, sa carrure désormais imposante ou son regard terrifiant. Aimable, il savoure le bonheur de jouer avec son groupe PIL, sa world punk sans frontières so british, en travailleur enfin indépendant. Mais, derrière le quinquagénaire intarissable, l’observateur enragé de la société britannique est toujours là. L’antéchrist du « no future » n’oublie pas ses ennemis. « La colère est une énergie », clamait-il.

La douzaine de chansons, devenues autant de classiques rageurs et furieux, que vous avez écrites pour les Sex Pistols sont venues comment ?
Assez spontanément. J’avais toujours griffonné des choses, je lisais beaucoup de poésie, de Keats notamment. Je m’étais même imaginé devenir écrivain. Mais je sentais qu’il manquait toujours quelque chose. C’était la musique. Et ces textes pour les Sex Pistols sont sortis par jets. Ils devaient mûrir au fond de ma cervelle.

Vous connaissez Robin Wil­liams, l’acteur comique qui ne se tait jamais ? C’est comme ça dans ma tête. Je suis en ébullition permanente. Une fois guéri de ma méningite, je me suis juré de ne plus jamais laisser mon cerveau au repos. J’ai écrit le texte de God save the queen presque d’un trait, le temps d’avaler une boîte de baked beans [haricots blancs] ! Une vérité qui ne demandait qu’à jaillir.

Avec les Pistols, le punk divisait le pays, et vous avez été confronté à une autre forme de violence…
J’ai grandi à l’ombre d’Arsenal, le club dont je suis supporter, et une certaine violence ne m’était pas étrangère. Ça pouvait être brutal, mais ça restait presque bon enfant. Avec le punk, une autre violence a été mise au jour. Celle d’une société britannique bâtie sur l’humiliation constante d’une classe ouvrière traitée comme une bande de demeurés.

Quand j’étais jeune, à Finsbury Park, il y avait une mixité incroyable : des Blancs, des Noirs, des Indiens, des Irlandais, des Anglais, des Grecs, des Turcs, qui s’entendaient très bien. On ne jugeait que les personnalités, pas la couleur ou la nationalité. Tous les gouvernements qui se sont succédé se sont acharnés à détruire cette solidarité.

Le pire étant probablement Tony Blair, avec sa promesse d’un pseudo-New Labour. Ce type n’est qu’un imposteur, un avocat véreux qui ne vaut pas mieux que ceux qui tiennent des officines de paris. En un peu plus éduqué, bien sûr.

Vous sentez-vous relié, aujourd’hui, aux insurgés punk de 1977 ?
La fameuse « classe de 77 » ? Je déteste cette formule. Tout ça, ça vient de Mick Jones, de The Clash. Un type adorable, trop gentil même… Il pense que tous les anciens punks devraient se serrer les coudes. Mais pourquoi ? Je réfute l’idée qu’on était tous dans le même sac. Le punk était justement pour moi la révolte contre la ghettoïsation, et il faudrait en créer une nouvelle ?

Le punk est vite devenu un horrible cliché, juste des pauvres mecs qui s’habillaient tous pareil. Etre punk, c’est trouver sa voie, son style, surtout ne pas suivre bêtement les autres. La même chose s’est produite avec le rap, qui n’est vite devenu qu’un produit commercial à base de clichés, à des années-lumière de l’esprit, marginal et joyeux, du hip-hop des origines.

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